Le mardi 3 octobre 2017, Alphonse, un jeune homme sans histoire d’aucune sorte, avait rendez-vous avec deux de ses plus proches amis
à la somptueuse gare de Liège Guillemin.
Fixé comme un poteau au point de rendez-vous, Alphonse attendait. Toujours distrait, il laissait son esprit vagabonder à sa guise. Tout à coup, perdu dans ses pensées, il entendit une voix familière résonner au loin.
– Al !
C’était Isabelle, une magnifique jeune femme aux cheveux d’ébène, vêtue d’une petite veste rouge à la capuche bordée de fourrure.
Elle se tenait près d’une vieille Citroën d’un vert affreux et lui faisait signe du haut de son mètre soixante.
– Comment vas-tu ? Le voyage en train n’était pas trop long ?
– Ça va. Non, il n’y a que 15 minutes de trajet mais par contre, le train était bondé. Répondit Alphonse.
– Vu l’heure, ce ne m’étonne pas. À 8h, il y a tous les étudiants. Tu attends depuis longtemps ?
– Non, non, je viens d’arriver.
– Ok, bah monte dans ce cas, et en route !
Isabelle monta à l’avant côté passager et invita Alphonse à se mettre derrière.
À peine prit-il place sur la banquette, que Pierre, le copain d’Isabelle s’excusa pour le retard.
– Ce n’est rien, balbutia Alphonse tentant tant bien que mal de se débarrasser de son sac à dos.
– Tu connais les femmes ! Lança Pierre en s’esclaffant.
– N’importe quoi ! Répliqua Isabelle. Tu as pris plus de temps que moi dans la salle de bain, j’étais prête en 10 minutes moi, Mosieur ! Démarre au lieu de raconter des bêtises.
Le trajet se fit en silence sur un fond de musique classique. En tout cas pour Alphonse, car il en était tout autrement pour les deux amoureux à l’avant. Ce n’est pas qu’un mot volait plus haut que l’autre, ils parlaient simplement avec la même flamme que lors de leur première rencontre. Un spectacle aussi touchant que curieux, car au bout de plusieurs années de ménage, que pouvez-vous bien raconter de nouveau à votre partenaire ? Vraisemblablement, ces deux-là le savaient.
Au bout de 1h30, la longue route prit fin. La voiture, toujours habillée de ce vert abominable, s’avançait dans le gigantesque parking de Pairi Daiza et un large sourire vint garnir les visages de nos trois explorateurs d’un jour. Pairi Daiza est de loin le plus beau parc animalier de Belgique mais il est avant tout leur parc préféré.
– Enfin arrivé ! Bredouilla Pierre en s’étirant.
Munis de leur abonnement respectif, nos trois amis se dirigèrent vers les portiques d’entrée.
– Tu as envie de voir un animal en particulier Al ? Demanda Isabelle.
– Non pas spécialement.
– J’aimerais bien voir les gorilles, annonça Pierre, l’année dernière leur volcan était encore en construction.
– En avant pour les gorilles alors ! Lança Isabelle.
La joyeuse troupe se dirigea donc en direction de la terre des origines sous un ciel entièrement bleu, chauffé par un soleil éclatant. Ils s’arrêtèrent tout de même pour admirer les animaux qu’ils croisaient et Alphonse, équipé d’un appareil photo compact, les capturait comme il le pouvait. Aras, Ibis rouges, Flamants roses, Spatules, aucun oiseau de la volière n’échappait à son objectif, même les cigognes qui nichaient au sommet de la tour de Cambron, le plus haut perchoir du parc. Cependant, ces dernières étaient bien trop loin pour que son petit compact puisse en tirer un cliché convenable. On ne distinguait qu’une minuscule tâche blanche ressemblant vaguement à un oiseau.
Mais Alphonse était tout de même content, pas de sa photo, mais il passait une agréable journée dans un lieu qu’il adorait et avec des amis qu’il appréciait.
Pierre arriva le premier devant l’immense volcan, l’enclos des gorilles, suivi de très près par Isabelle alors que Alphonse se tenait un peu en retrait. Les vitres et la faible luminosité de l’enclos n’étaient pas propices aux photos, mais cela n’empêchait pas nos trois comparses d’admirer ces fabuleux animaux avec qui nous avons d’innombrables points communs.
– On va à l’aquarium ? Lança Pierre une dizaine de secondes après leur arrivée.
– Tu ne voulais pas voir les gorilles ? Lui demanda Isabelle.
– C’est bon, je les ai vus, mais tu connais mon amour pour la mer et les poissons, chérie. Dit-il en esquissant un sourire.
– Et toi Alphonse ? Tu veux faire quoi ?
– Je vous suis.
Avant d’arriver à l’aquarium, ils firent un détour par le Mersus Emergo, l’univers des reptiles, en guise de mise en bouche. Ils passèrent rapidement la majorité des habitants de ce vieux bateau réaménagé, mais ils s’arrêtèrent un certain temps devant les crocodiles. Alphonse rejoignit Pierre accroupi devant une vitre. Il se mit à son niveau et remarqua pour la première fois, le bel appareil photo réflex que son ami tenait entre les mains. Ce dernier regardait la photo qu’il venait de prendre.
Quand les yeux de Alphonse vinrent se poser sur le cliché, ce fût le choc ! C’était un œil de reptile en gros plan. Alphonse pouvait percevoir absolument tous les détails de sa pupille verdâtre. Il vérifia à travers la vitre que la photographie avait bien été prise ici. Aucun doute n’était possible. Quelle somptueuse image ! Alphonse ne pouvait s’empêcher de comparer ses propres photos à celle de Pierre. Les siennes lui paraissaient bien ternes et dénuées d’émotion face à cet œil reptilien à vous glacer le sang.
Pierre se releva, satisfait de sa photo.
– Bon, on va à l’aquarium ?
– Je vous attends ! Répondit Isabelle les bras croisés quelques mètres plus loin.
Alphonse resta là, choqué par ce qu’il venait de voir. Il avait déjà vu de belles photographies sur Internet, mais il se disait que c’était le résultat de professionnels ou qu’elles étaient entièrement dénaturées avec Photoshop. Seulement, en voyant en direct son ami, à peine amateur, prendre une photo de ce niveau, il se dit alors que ce genre de photographie était également à sa portée.
Quand Alphonse reprit ses esprits, ses deux amis étaient déjà sortis et l’attendaient à l’extérieur.
– Qu’est-ce que tu faisais ? Demanda Pierre.
– Euhh rien, rien. Bafouilla-t-il.
– On y va les garçons ! Ordonna Isabelle, toujours un peu en avant telle une matriarche menant son troupeau.
Ils continuèrent ainsi leur visite du parc, prenant du plaisir dans chaque univers qu’ils traversaient. Alphonse restait cependant en retrait. La photo de Pierre lui hantait l’esprit. Il lui était impossible de penser à autre chose.
Pour ses deux amis, son comportement ne différait pas beaucoup d’ordinaire. Ils avaient l’habitude de voir Alphonse un peu derrière et silencieux.
À la fin de la journée, ils reprirent la route dans leur Citroën qui, malheureusement, n’avait toujours pas changé de couleur. Durant le trajet, Isabelle jeta un coup d’œil au dessus de son épaule et vit Alphonse tourmenté.
– Tout va bien Al ? Tu es bien pensif.
– Oui, je repensais à la photo que Pierre a prise.
– Laquelle ? Demanda Pierre s’incrustant dans la conversation par l’intermédiaire du rétroviseur.
– Celle que tu as prise dans le bateau, avec l’œil du crocodile.
– Ah oui, celle-là.
– Elle est splendide Pierre. Vraiment !
– Merci beaucoup.
– Regarde la route au lieu de parler, tu vas nous tuer ! Gronda Isabelle.
Alphonse quitta ses amis à la gare, au même endroit où il les avaient retrouvés le matin. Il rentra chez lui sans même s’en rendre compte. Manifestement, son esprit était occupé ailleurs, toujours obnubilé par cette photographie. Arrivé chez lui, il fit un choix.
– C’est décidé ! Je vais me mettre à la photo !
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